Les poissons rouges dans « Total recall »

31 mars 2008

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Réalisé par Paul Verhoeven, le film « Total recall » creuse les thèmes de perte d’identité et de fabrication de souvenirs.

Au trois-quarts du film, Vilos Cohaagen, l’impitoyable administrateur de Mars, brise son aquarium. Les poissons finissent sur le sol, agonisant au milieu des débris de verre. Au delà de la symbolique de cette scène, dont on verra l’écho quelques minutes plus tard avec des humains à la place des poissons, est-ce une coïncidence qu’ils s’agissent de poissons rouges ?

Dans la culture française, on assimile le poisson rouge à la mémoire courte. Est-ce ausi le cas dans la culture anglo-saxone – voire néerlandaise, Verhoeven étant originaire des Pays-Bas ?

Ecrit par Rémi


Ni Burt ni Lancaster

30 mars 2008

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Boileau a dit : « Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire arrivent aisément » .

C’est pas faux. Mais en matière de musique, il faut bien reconnaître que le fait de ne pas comprendre une phrase peut la rendre incroyablement pertinente – et je ne parle pas uniquement de ceux qui entendent « assassin de la police » dans la bouche de KRS-One.

Prenons l’exemple d’Iris, rappeur aux apparitions étonnantes, réjouissantes et trop rares. Dernière en date, le morceau ‘Lanternes rouges’ (lui aussi issu de la compilation de BoolChampion).

Si vous êtes comme moi, vous aurez tiqué sur la phrase : « T’es ni Burt ni Lancaster » .

Ni Burt ni Lancaster. Vu le reste des paroles, je devine qu’il ne s’agit pas d’un compliment, mais c’est tout : je ne sais pas ce qu’il veut dire. Et pourtant, cette phrase n’en finit pas de trotter dans ma tête, comme si je sentais qu’elle comportait un sens caché et profond sur lequel je n’arrive pas à mettre le doigt. Faire référence à un personnage connu est forcément ambigu : sans savoir ce qu’Iris pense de Burt Lancaster, difficile de comprendre l’allusion. Peut-être que c’est ce qui permet à ces mystérieux mots de devenir obsédants…

[…]

Deux fois n’étant pas coutume, je me permets un parallèle avec Louise Attaque. Le titre ‘Sean Penn Mitchum’ est lui aussi enrobé d’une aura similaire, peut-être pour les mêmes raisons.

Ecrit par Rémi


Les rêves de Sept

27 mars 2008

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Dans une chanson du premier album de Louise Attaque, ‘L’imposture’, un détail m’a toujours fasciné :

Mourir d’amour – je veux dire –
C’était pas pour vous fuir ;
Et juste un mot pour vous dire :
C’était pas pour vous.

Réutiliser une phrase en enlevant juste le dernier mot pour lui donner un sens complètement différent, c’est d’une efficacité redoutable, surtout pour conclure sur une telle gentillesse : « Mourir d’amour (…) : c’était pas pour vous.« 

[…]

Dans une autre vie, j’ai interviewé Sept, un rappeur à la plume d’or et à la voix d’ogre. J’ai découvert récemment un de ses morceaux, intitulé ‘Rêves partis’. Rêves partis, rave party, jeux de mots, marrant, ah ah, bon.

Ses couplets regorge de liesse, d’espoir et joie, et pour rester dans le ton, il assène plusieurs fois au refrain : « Rêves partis… » ; puis ajoute : « Rêve pas. » Magie du scratch, c’est la même phrase que l’on entend, tronquée la seconde fois !

Rêves partis / Rêve pas

J’aime beaucoup. Je vois plusieurs interprétations possibles à cet enchaînement, et chacune d’entre elles me plaît.

J’ai croisé Sept l’autre jour et lui ai parlé de ce refrain. Homme honnête, il m’a avoué que l’idée de ce scratch ne venait pas de lui mais du DJ, BoolChampion – à l’origine de la compilation « Dr Mahbool injection » (entièrement téléchargeable en ligne) sur laquelle apparaît le morceau.

Ecrit par Rémi


Le home run selon Jakob Nielsen

19 mars 2008

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Cela va donner raison à ceux qui pensent que je suis un geek qui ne s’assume pas : je viens de finir un livre de Jakob Nielsen, intitulé « Designing web usability : the practice of simplicity« .

L’objet du livre est d’étudier ce qui rend les sites web plus faciles à utiliser. C’est bardé d’exemples, de captures d’écrans, de résultats d’enquêtes et de comparatifs.

Jakob Nielsen ne parle pas de code, de balises, de fonctions. En évitant de rentrer dans des détails propres à la réalisation technique d’un site web, il délivre des analyses claires, générales et toujours d’actualité – le livre date de 1999 ! Il s’applique à suivre lui-même son omniprésent conseil de simplicité.

Dans le chapitre de conclusion, il synthétise les 7 caractéristiques d’un site efficace. Chacune commence par une lettre ; mises bout à bout, elles forment un acronyme : HOME RUN.

Prévenant, Jakob Nielsen pense aux lecteurs résidant en dehors de l’Amérique du nord qui ne connaissent peut-être pas le mot home run. Il prévoit donc un petit encadré pour le leur expliquer.

À sa place, j’aurais essayé de résumer le principe du home run dans une partie de baseball. Cela m’aurait permis de partager une petite information avec mes lecteurs qui ignoraient ce qu’était un home run. Ainsi, à travers cette anecdote hors-sujet, ils auraient pu comprendre la référence utilisée, et entrer dans la connivence…

Mais je ne suis pas Jakob Nielsen. Conscient que son acronyme est davantage une astuce mnémotechnique qu’une métaphore profonde, Jakob Nielsen se contente d’expliquer qu’un home run, c’est « une bonne chose, quelque chose que l’on cherche à atteindre au baseball » ! C’est tout ! Et il a bien raison : si quelqu’un n’a jamais entendu le mot home run avant, la meilleure des explications ne suffirait pas à rendre l’acronyme facile à retenir.

Ne serait-ce que par cet exemple de pragmatisme et de lucidité mêlées, ce livre aura été sacrément instructif.

Thank you Jakob.

Ecrit par Rémi


Être geek

18 mars 2008

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Depuis que mon orientation professionnelle m’a fait découvrir les joies de la programmation informatique, j’ai toujours senti qu’il me manquerait l’état d’esprit qui ferait de moi un programmeur hors-pair.

Ce constat un peu flou a pris tout son sens lors d’une formation. Pour me permettre de cadrer un peu les maigres connaissances que j’avais acquises sur le tas, mon employeur m’a gentiment octroyé trois jours de formation sur un langage de programmation incontournable sur internet : PHP. La formation avait lieu dans une boîte informatique de renom.

Les conditions étaient idéales : nous n’étions que deux élèves pour un formateur. Royal. Et pourtant, dès le premier jour, j’ai senti que j’allais tirer peu de choses de cette formation. Le hic ? Le formateur était un geek. Un geek adorable, serviable, qualifié, mais un geek. Tendance dur.

Je passe sur le jargon incompréhensible qui a émaillé cette session de formation pour me concentrer sur un détail qui m’a fait mesurer le fossé qui me séparait de ce jeune homme.

Au début de la première journée, alors que nous installons le douzième logiciel censé me faciliter la vie par la suite, nous rencontrons un problème de configuration. Je soupire : j’ai hâte que l’on commence la formation pour de vrai. Mon geek, lui, esquisse ce que je crois – ce que je crains – être un sourire. Il creuse un peu le problème, parvient à contourner l’obstacle, et lance l’application. Mais rien ne fonctionne. Enfin, si, des choses fonctionnent, mais pas du tout comme prévu. Le formateur teste un peu cette version buggée du logiciel, et s’exclame : « Il faut absolument que je montre ça aux autres !« . Et le voilà qui sort du bureau pour ramener des collègues et leur montrer ce bug visiblement inédit.

C’est alors que je comprends ce qui me manque. Je déteste quand l’informatique ne marche pas. Ce qui est exactement le contraire de la joyeuse bande de lurons qui s’agitent devant moi. Pour eux, les échecs deviennent des références communes, des sujets de blagues. Visiblement, la découverte d’un nouveau bug est source de fierté, pas d’énervement.

Depuis, j’en ai pris mon parti. Je ne serais jamais un geek, et tant pis pour mes ambitions d’informaticien. Par contre, sur mon CV, j’ai rajouté une ligne : dans la rubrique « Langues étrangères », en-dessous de l’anglais et de l’italien, j’ai précisé : « Geek : courant ».

Ecrit par Rémi


Les aveux de Noreaga

17 mars 2008

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« Hardcore comme reconnaître ses torts« , rappait Kery James en 1998 sur l’album Le Combat Continue de son groupe Ideal J. Pas facile, en effet, de reconnaître qu’on s’est planté, et que si c’était à refaire, assurément on ferait autrement.

C’est ce qui rend le rappeur Noreaga, membre avec Capone du binôme C-N-N (Capone & Noreaga) si attachant. En 2000, le duo sort son second album, The Reunion. Au début du meilleur titre de l’opus, ‘Invincible’, Noreaga lâche une phase incroyable. Quand j’ai saisi ce qu’il disait, j’ai dû me repasser le passage une bonne dizaine de fois pour être sûr d’avoir bien entendu.

« I can’t believe I fucked up and made a half-assed album » (« Je n’arrive pas à croire que j’aie déconné et fait un album naze« )

Premier temps. Déjà dingue. Noreaga avoue que son album solo précédent, Melvin Flynt – Da Hustler était foireux. Je n’avais jamais entendu ce genre de confession dans le rap. Ni ailleurs. Il semble être le premier déçu, abasourdi par ce qu’il estime être un album à peine écoutable. « J’ai merdé », semble-t-il nous dire, et se dire à lui-même. Mais la suite est encore plus forte.

« My excuse is : my pop’s just died. And I ain’t wanna make music : my pop’s just died. » (« Mon excuse : mon père venait de mourir. Et je n’avais plus envie de faire de musique : mon père venait de mourir.« )

Deuxième temps. Non seulement Noreaga reconnaît ses torts, mais en plus il s’en excuse auprès de ses fans (pour info, la suite du couplet dit : « My fans stuck with me, my shit still went gold« , c’est-à-dire : « Mes fans ont continué à me soutenir, mon truc a quand même fait disque d’or« ). Mais il y a dans sa façon de le dire quelque chose de presque bouleversant. Je pense qu’il s’agit de la répétition de « My pop’s just died ». Répétée et assénée comme une évidence, comme si Nore se trouvait face à un fan déçu lui demandant des comptes. Sans hausser la voix, presque sur le ton de la confidence. Pas besoin de crier pour toucher.

Il ne s’agit que de deux ou trois petites phrases perdues dans une carrière forte, à vue de nez, d’une grosse centaine de couplets. Mais elles méritent de résonner pour l’éternité dans la tête des auditeurs de rap, fans de Noreaga et de C-N-N ou non. Parce qu’une telle sincérité est rare. Même si elle n’empêcha pas que The Reunion soit aussi un « half-assed album ».

Ecrit par Julien


Pour quelques détails de plus

16 mars 2008

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Les détails importent, surtout quand le temps compte. Car le temps c’est de l’argent et quelques dollars de plus peuvent faire toute la différence. Le Colonel Mortimer et Bounty Killer -chasseurs de primes de leur état- le savent : l’un est patient, l’autre compte jusqu’au moindre centime. Retour sur « Pour quelques dollars de plus », un film dont l’acteur principal est un accessoire : une montre gousset dont s’échappe une mélodie lancinante.

Cette montre, c’est celle d’El Indio, le genre de type en plein délire rigolard devant la violence et qui a souvent des comptes à régler. Alors, à chacun de ses duels, il déclenche en guise de compte à rebours la musique ensorcelante de sa tocante. « Quand ce sera la fin de la musique, tu tireras« . Dans les faits, tu meurs.

Cette ritournelle, c’est aussi celle qui se met en marche quand il a des comptes à régler avec lui-même. Chaque soir avant de s’endormir, elle envahit sa tête obnubilée par un souvenir : celui du jour où il s’est approprié cette montre. Il l’a obtenue en tuant celui à qui il était préféré par la jeune fille dont il s’était épris. Dénouement de son premier meurtre comme de sa première passion ? Le suicide de sa dulcinée pendant qu’il lui délivrait quelques coups de boutoir. De l’amour comme de la mort, il ne lui reste que cette horloge de poche, cadeau volé de l’alliance qui unissait les deux amoureux. Chacun en possédait une. Qu’est devenu l’autre exemplaire ? L’histoire ne semble guère s’en soucier, tout comme le spectateur pour qui ce n’est qu’un détail.

Et il a bien tort, car si la cruauté musicale d’El Indio éblouit l’écran, les détails comptent dans les films de Sergio Leone. Le réalisateur les utilise méticuleusement pour théâtraliser sa mise en scène. Le maître du western spaghetti affectionne autant les gros plans que les panoramas. Le vide, le plein, de près, de loin, mais toujours avec la précision de la petite particularité. Le but ? Utiliser ces petits riens pour forger le caractère d’une civilisation ou chacun ne fait que passer… ou trépasser. Finalement, il ne reste que les héros, de la trempe de ceux qui ne meurent jamais.

Subsistent donc les deux chasseurs de primes, concurrents du même calibre qui devant l’incapacité de se neutraliser scellent une association contre-nature pour récupérer la prime de dix mille de dollars qui pèse sur la tête d’El Indio. Ils remettront les pendules à l’heure lors d’une scène de fin hantée par le détail du film : cette montre gousset et sa petite musique, dont le second exemplaire appartient en fait à Mortimer et semble surgir de nulle part. Ou presque.

Car il ne fallait pourtant pas attendre les dernières minutes du film -peut-être le plus beau final de l’histoire de ce vieux centenaire que l’on appelle cinéma- pour le savoir. Cette montre, le Colonel la tient en main après une heure de narration en prononçant cette phrase d’abord mystique, puis malicieuse une fois le film terminé : « j’estime que les questions ne sont jamais indiscrètes, mais les réponses bien souvent« . Leone ou l’art de suggérer en pointant du doigt. L’évocation semble anodine, malgré l’enchaînement sur les divagations d’El Indio. Elle ne prendra son sens que dans le dernier duel de l’œuvre, révélant qu’une simple histoire de chasseur de prime est en fait celle d’un frère voulant venger une sœur qui a préféré mourir que vivre souillée au pied du cadavre de son homme.

La montre de « Pour quelques dollars de plus » est le symbole d’un cinéma où chaque détail compte au point de résonner en monnaie sonnante et trébuchante. « Là où la vie n’a pas de valeur mais où la mort a parfois un prix », ils ne pouvaient avoir que toute leur importance.

Ecrit par zo. (http://zoctet.wordpress.com)


Les Quick Time Events

15 mars 2008

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J’ai découvert les Quick Time Events (QTE) il y a quelques années, en jouant à Shenmue, sur Dreamcast, la dernière console sortie des labos de Sega. Comme l’explique le lexique du site GameKult, « les QTE désignent une séquence cinématique interactive où le joueur doit presser une série de boutons dans le bon timing pour poursuivre l’action« .

En gros : vous jouez, puis soudain le symbôle d’une touche de la manette apparaît à l’écran. Puis une autre. Etc. Vous avez un temps limité pour appuyer sur chaque touche indiquée. Ce système met à l’épreuve la vivacité d’esprit du joueur, teste ses réflexes. Et ses nerfs. Car la moindre erreur, le moindre temps de réflexion trop long de quelques centièmes de seconde ne sont pas pardonnés. Et rater trois fois de suite ces séquences tape violemment sur le système. Des manettes ont déjà été fracassées contre des murs pour moins que ça.

Mais ce détail de gameplay était génial. Il permettait une nouvelle façon de jouer, sollicitant le joueur d’une toute nouvelle manière. Resident Evil 4 ou encore God Of War ont par la suite réutilisé ce système de jeu. J’ai par ailleurs appris récemment que les QTE n’ont en fait pas été inventés par Shenmue mais par les créateurs du jeu Dragon’s Lair, en 1983, et que les équipes responsables de Shenmue ont simplement popularisé et réactualisé un concept alors vieux de plus de quinze ans.

Ecrit par Julien


Le jeu de la sardine

14 mars 2008

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La sardine, c’est une variante du cache-cache.

Le principe est simple : une personne se cache, et tout le monde la cherche. Sauf que – SAUF QUE – quand on la trouve, on ne le crie pas haut et fort… mais on se cache avec elle ! Du coup, au fur et à mesure, les cachés s’agglutinent (comme des sardines, d’où le nom), et les chercheurs sont de moins en moins nombreux. Le dernier chercheur a perdu !

Lorsque l’on trouve la cachette, il faut se débrouiller pour la rejoindre sans être vu par les autres chercheurs. Et si un autre joueur est à proximité à ce moment-là, le but est de le semer, ou de l’induire en erreur dans un autre endroit, puis de revenir se cacher…

Le détail qui rend la sardine infiniment plus intéressante que le cache-cache, c’est l’angoisse ressentie par les chercheurs. Au départ, peut-être à cause du noir, les joueurs ont tendance à avancer en groupe. On farfouille, on se parle, on rigole, tout va bien… Puis les rires se font plus rares. La personne qui était à côté il y a deux minutes ne répond plus. On essaye de retrouver le groupe qui semble s’être éloigné, mais il n’y a plus personne. Au loin, on entend des voix ; on court vers elles, et rien, l’endroit est vide. Le temps défile, les gens disparaissent… Jusqu’à ce qu’on se retrouve seul.

[…]

Ne cherchez pas à voir dans ce jeu une triste métaphore de la vie, il n’y en a pas.

Ecrit par Rémi


L’âme de George Pelecanos

13 mars 2008

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George Pelecanos aime la musique noire américaine. Dans ses romans, elle occupe une place prépondérante. Il ne se contente pas de signaler que ses personnages écoutent la radio ou un disque, mais les fait discuter de musique, théoriser, acheter des albums, les classer par labels et années de sortie…

« – C’est ce passage-là, dit Quinn en montrant du doigt le lecteur de cassettes de la Chevrolet de Strange.

– Il dit : « Hug her ».

Strange fredonna les paroles :
– « Makes you want to love her, you just got to hug her, yeah. »

– « You just got to fuck her. », dit Quinn. C’est ce qu’il dit. Rembobine la chanson et écoute-la encore une fois.

(…)

– Ecoute, Terry, tu t’obsèdes sur des détails. Par une si belle journée, tu ferais mieux de te laisser porter par la chanson. C’est avec cet album que les Spinners ont débuté chez Atlantic. Certains disent que c’est le plus bel album de soul philadelphien qu’on ait jamais enregistré. »

– Oui, je sais, produit par Taco Bell.

– THOM Bell ! »

– Et ces deux mecs dont tu parles tout le temps, Procter et Gamble ?

– Gamble et Huff. N’empêche, cette musique, c’est le pied. Bon dieu, Terry, il aurait fallu que tu sois…

– … que je sois là, je sais.

– Exactement. Il suffit de rassembler tous les groupes qui jouaient surtout des chansons langoureuses en ce temps-là, les Chi-Lites, les Stylistics, Harold Melvin et Earth, Wind & Fire quand ils faisaient des morceaux lents, et on obtient la plus magnifique période de pop musique de toute l’histoire. C’est comme si l’Amérique avait enfin créé… sa forme d’opéra à elle, tu vois.« 

(George Pelecanos, « Soul Circus », 2003)

C’est un détail de son style d’écriture qui doit, à la longue, agacer plus d’un lecteur. Mais qui m’enchante. Mieux : Pelecanos écrit les livres que je rêve d’écrire. De la même manière que Tarantino réalise les films que je rêve de réaliser. Et il y a du Tarantino dans Pelecanos, et vice versa. Dans cette manie du détail, dans cette volonté de placer des références culturelles populaires. Les discussions entre Derek Strange et son ami Terry Quinn ne sont pas foncièrement différentes de celles entre les gangsters de « Reservoir Dogs » sur le sens caché d’un morceau de Madonna ou de Pam Grier et Robert Forster sur les Delfonics (« Jackie Brown »). Il s’agit toujours de digressions n’ayant rien à voir avec l’intrigue centrale, mais qui permettent de mieux cerner les personnages et leur « background ».

C’est ce détail qui fait toute la saveur des romans de Pelecanos, leur âme. Qui permet un prolongement du roman, si l’on est un peu curieux. Et nous devons être un certain nombre dans ce cas-là, puisque les traducteurs de « Soul Circus » avaient pris la peine de lister, à la fin de l’ouvrage, tous les titres de chansons cités.

Ecrit par Julien