Si l’intitulé-même de ce blog souligne l’importance des détails (pluriel), chaque billet s’attelle souvent à mettre en avant un détail (singulier). Pourtant, c’est une armada de détails qui fait parfois la différence, sans que l’on puisse extraire un détail en particulier.
Cette réflexion a pointé son nez lors de la lecture de « The winner within », essai autobiographique écrit par Pat Riley, entraîneur mythique de basket-ball américain. Parmi les clés de sa réussite à la tête des Los Angeles Lakers, il raconte la mise en place d’un système d’analyse des actions des joueurs, bien plus précis que les statistiques habituelles (points, rebonds, passes décisives, interceptions, etc.). Pour cela, il avait défini une liste des gestes à encourager ; par exemple, aller au rebond à chaque tir ou aider un coéquipier qui s’est fait déborder en défense. En mesurant chacun de ces détails, dans leur intention plus que dans leur résultat, Pat Riley faisait prendre conscience à ses joueurs de l’importance des petits gestes invisibles, qui n’apportent aucune gloire individuelle mais qui, mis bout-à-bout, mènent à la victoire.
J’ai récemment pu mettre en application cette approche, lors d’une partie de Risk 2210.
Risk est un jeu de société. Sur une carte du monde, les joueurs sont à la tête d’armées et doivent atteindre un objectif secret. Pour cela, ils définissent des stratégies d’attaques – qui se jouent aux dés – ou d’alliances – qui se jouent des amitiés. Méprisé par les puristes pour la place trop grande qu’il accorde au hasard, Risk demeure le jeu de stratégie le plus populaire, au point d’avoir engendré de nombreuses déclinaisons. Ces déclinaisons conservent le principe de base (conquérir les territoires adverses) mais font évoluer les règles, la carte et les pions.
Risk 2210 est une de ces déclinaisons, tendance futuriste. On joue toujours sur une carte du monde, mais il est désormais possible d’envahir les mers, d’aller sur la lune ou de déclencher des attaques nucléaires ! Rajoutez à ça des cartes aux pouvoirs spéciaux, une monnaie d’échange, davantage de dés et un système de paris pour déterminer l’ordre des joueurs à chaque tour, et vous obtenez un jeu qui rend impossible toute stratégie à long terme.
Grisantes au départ, ces mille possibilités offertes à chaque tour se transforment en une sensation assez frustrante de ne rien contrôler, tant que l’on reste dans une logique de stratégie à long terme. Pourtant, dès lors que l’on renonce à tout prévoir à l’avance, on découvre une autre manière de jouer, radicalement différente mais non moins intéressante : sauter sur les opportunités qui se présentent pour multiplier les micro-actions bénéfiques. On en revient à cette histoire d’armada de détails. Dans le lot, il est sûr que des tactiques vont tomber à l’eau, que des attaques vont se heurter à un mur, que des imprévus vont survenir ; mais au final, peut-être que la défaite adverse ne tiendra qu’à un fil, et que c’est le petit déplacement de la ligne de défense effectué trois tours plus tôt qui sera décisif. Et plus le nombre de ces actions est grand, plus les probabilités de victoire sont élevées, au point de transformer cette somme de détails invisibles en une invincible armada.
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Le lien entre basket et stratégie de guerre ne vous parait pas évident ? Je comprends. La dernière fois que j’ai tenté ce parallèle, c’était pour enseigner à des benjamins comment appliquer les principes de « L’art de la guerre » de Sun-Zi dans un match de basket. Je ne les avais pas senti très réceptifs. Ce premier entrainement a aussi été la fin de ma carrière d’entraineur.