Les métaphores alimentaires de l’Oncle Shu

Malgré les dires de Booba, IAM n’est pas encore de l’Antiquité. Du moins, les membres du groupe s’évertuent à prouver le contraire. Près de 20 ans après la tape « Concept », Iam est encore là et a sorti un 5ème album en 2007. Si le disque m’avait paru quelque peu déroutant au départ, une écoute un peu plus approfondie avait fini par me convaincre que « Saison 5 » aurait mérité un accueil un peu plus chaleureux à sa sortie. Justement, un des sons les plus décriés de leur dernier album est sûrement Coupe le Cake dont le style a désarçonné plus d’un auditeur. Seulement, en visionnant le clip pour la première fois, une chose me frappe. Il ne s’agit pas des bruitages posés à la place des rimes ou des multiples effets du clip dont le réalisateur a sûrement abusé. Non, ce qui m’alertait était le couplet de Shurik’n et cette phrase dont je n’arrivais pas à me défaire : « Y a Haribo pour le sucré, nous on donne dans l’acide ».

Soudain, je me suis rappelé de certaines discussions que j’avais eu avec un ami. A plusieurs reprises, nous nous étions rendus compte que Shurik’n avait tendance à user de certaines « métaphores alimentaires ». Mais finalement, ces références étaient elles aussi présentes qu’on le pensait ou avions nous surestimé le phénomène ? Je décidai donc de me replonger dans les différentes apparitions de Shurik’n et Dieu sait si elles sont nombreuses. Finalement, il est clair que le rapport de Geoffroy Mussard à la nourriture tourne à l’obsession. Alors, facilité d’écriture ou véritable angoisse à l’idée de pouvoir un jour ne pas manger à sa faim ?

Qu’elles soient discrètes (« Le mangeur d’âmes à chaque repas s’abreuve de nos rancœurs » sur La fin de leur monde ) ou qu’elles soient des éléments marquants des couplets de Shurik’n (« Alors on mangeait pas tous les midis, les pates ou le riz c’étaient les soirs de fête, sinon c’était döner cousin, sauce blanche, sans oignons, 2 cannettes » sur Nos heures de gloire), le rapport à la nourriture, qu’il se manifeste par l’évocation du repas, de simples aliments ou qu’il soit là pour illustrer la misère dans laquelle vit toute une frange de la société française, est toujours extrêmement présent.

Souvent, la nourriture est là pour signifier le contraste entre la France d’en haut et celle d’en bas pour reprendre l’expression consacrée d’un ancien Premier Ministre au faciès de mafieux. Qu’il s’agisse « d’images trop crues pour un beauf devant sa viande trop cuite » (La fin de leur monde) ou des « plus jeunes émerveillés par tant de billets, le genre de gâteau qu’ils ne se lassent pas de goûter » (L’enfer), il s’agit constamment de dénoncer l’abondance dont jouissent certains et les restes laissés aux autres, aux « nôtres » (« On parle de gastronomie, les nôtres crèvent la dalle » sur United). Mais le contraste en question est également culturel comme Shurik’n le souligne sur United lorsqu’il dit « On parle de riz, d’harissa, eux parlent vin et fromage ».

On a le sentiment que ces métaphores agissent comme un déclencheur sur Shurik’n qui peut ensuite laisser son écriture, que d’aucuns qualifieraient de « socialement engagée », s’exprimer pleinement. Qu’il soit en collaboration sur des projets extérieurs à son « clan » marseillais (« Elevés au pain même pas grillé » sur Animalement votre), avec IAM (« Pourquoi lui se gave de saumon sur lit de caviar ? » sur Nés sous la même étoile) ou en solo (« « Les gosses croquent la mort à pleines dents comme dans une barre de Lion, les carries c’est rien, on s’en remet et puis un jour tu mords trop fort et là tu perds ton dentier sur ton pallier » sur Rêves ou « Les personnalités mangent, laissent les miettes et prennent l’argent pour un élixir d’immortalité » sur L.E.F), la récurrence du thème est troublante.

Encore plus édifiant, sur J’attends, il met en scène dans son 3ème couplet un prisonnier qui vit son dernier jour avant d’être exécuté. Et la manière dont il commence son couplet est sans équivoque : « Dernier matin, dernier déjeuner, dernière tartine beurrée ». Là encore, on comprend l’importance de l’alimentation dans l’imagerie de Shurik’n. Pour bien nous faire comprendre à quel point il est important de pouvoir manger sa faim, il insiste sur les dernières bouchées du condamné à mort. Pour celui qui aime « les proses comme les pates al dente » (Oncle Shu), on comprend alors mieux la signification de phrases telles que « pense à ceux qui vivent au foyer avant de grimacer devant ta purée » sur La Lettre.

« De boîtes de conserve en boîtes de conserve » (Rêves), Shurik’n livre des textes souvent désespérés semblant proposer une logique relativement binaire des choses. Il y a « nous » qui sommes dans le besoin permanent et il y a « vous » qui « nous » mettez constamment des bâtons dans les roues et monopolisez tous les avantages. Shurik’n, s’il a sûrement acquis un niveau de vie relativement confortable avec le temps, se sent membre à part entière de la première catégorie. Cela fait-il écho à une enfance difficile dans laquelle Shurik’n aurait dû se priver ? Sûrement si l’on écoute celui qui semble avoir peur de finir « chaque soir finir dans un deux pièces meublés, lassé par le pain quotidien, marre de cette tranche de vie racie » (Y a pas le choix). Ainsi, sa phrase sur La lettre semble confirmer cette hypothèse : « J’étais pas en guenille non plus mais au goûter y avait pas de pépito ».

Cette liste d’exemple n’est même pas exhaustive. En effet, une bonne vingtaine de références du même acabit pourrait encore être mentionnées. Alors, facilité d’écriture ou véritable angoisse à l’idée de pouvoir un jour ne pas manger à sa faim ?

[Merci à danydaz187 et à nos longues discussions]

Écrit par Mehdi (http://sandwichalomelette.blogspot.com/)

12 Responses to Les métaphores alimentaires de l’Oncle Shu

  1. Julien dit :

    Ce billet déchire. Je vois pas trop ce que je pourrai dire de plus. J’avais jamais fait gaffe à cette obsession de la bouffe chez Shurik’N, mais c’est vrai que là du coup c’est flagrant.

  2. Catharsis dit :

    Je me souviens que quelqu’un m’avait parlé de ces métaphores y a quelques années, mais j’arrive pas à me rappeler qui… j’suis à peu près sûr que c’était un gars du net en plus… Enfin bref. Tout ça pour dire : ce billet défonce.

    Une autre pour la forme : « La journée c’est les sapes et le soir, on bouffe des pâtes / Je connais la fin, laissez-moi vous la raconter : il finira habiller par Rivoire & Carret. » (Les Je Veux Être)

  3. yacine_ dit :

    Grave, bon billet ! Je crois que dans un ON REFAIT LE RAP, Mouloud avait dit un truc du genre : « on pourrait faire un mémoire de thèse sur les références à la nourriture dans les textes de Shurik’n »! :)

  4. Catharsis dit :

    Ha mais oui ! Bien vu, c’est là que j’en avais entendu parler… Quel con : « Je me souviens que quelqu’un m’avait parlé de ces métaphores y a quelques années« , haha…

  5. Anthokadi dit :

    Excellent billet. A relier sans doute à l’ouverture d' »Il était une fois la révolution » de Sergio Leone, lorsque le peone grimpe dans la diligence et se retrouve entouré de bourgeois qui le toisent en s’empiffrant. Tout le propos politique du film était concentré dans cette première scène.

  6. Mehdi dit :

    Exact Yacine, maintenant que tu reparles de ça, je crois bien que c’est également cette discussion entre Sear et Mouloud qui m’avit mis la puce à l’oreille pour la première fois.

  7. Rapjeu dit :

    T’aurais même pu consacrer tout un paragraphe aux pruneaux d’Agen:

    « Un des miens a paniqué, tiré un pruneau dur à digérer » (J’attends)
    J’ai toujours beaucoup aimé celle-là.

    « Sous les préaux, c’est pruneaux dans le cerveau » (C’est donc ça nos vies)
    Là je suis plus dubitatif.

  8. Simon dit :

    Sans oublier le « pour eux pas de 4h » sur les Tam Tam de l’Afrique (De La Planète Mars).
    Et le « maintenant on veut du caviar bien gras, pas du 0% », sur Rap de Droite (Saison 5).

  9. Rg Prod dit :

    Vraiment bien ce p’tit billet…
    Et en grand fan d’IAM, je n’avais jamais fait ce lien entre la bouffe et Shurik’n, comme quoi…
    Et l’auteur de ce billet a mon eternel respect pour ces quelques sages paroles sur « saison 5 » (d’accord, ce n’est pas leur meiileur reussite, mais il y a vraiment de bonnes choses dessus)

    Rg

  10. balancap dit :

    J’avais également pas repérer. Et c’est vrai que cela revient souvent. Je viens de le remarquer également dans Je fais 1 avec un musique.

  11. mehdi dit :

    L’article de l’année

  12. Abdelkarim dit :

    Yerim la balance !!

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